Les fameux albums « à un franc » et la censure

Par Rodolphe Trouilleux

Dans l’œuvre de Cham, la production des « albums à un franc » occupe une place particulière, par le nombre des albums édités (123 environ), par la régularité de leur publication et par la longévité de cette forme très particulière d’ouvrage. On n’imagine plus maintenant combien ces petits albums, peu coûteux, firent partie pendant de longues années du paysage éditorial français. De Proudhoniana publié en 1848 au Salon pour rire 1876, les lecteurs assidus de Cham purent suivre, pendant vingt-huit années, la production de leur caricaturiste préféré.

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Sur la couverture de l’album, « Le Carnaval à Paris », cette rare dédicace de Cham « à Monsieur Durand hommage de l’auteur »

Dès le début de leur publication, ces modestes albums comportaient 16 pages : une pour la page de titre intérieure, comportant généralement un bois, et quinze autres présentant quatre bois chacune. Une soixantaine d’images étaient donc publiées dans petits volumes, peu coûteux et facilement maniables .
Il s’agissait tout simplement de la réimpression en albums de bois parus le dimanche dans la Revue comique de la semaine du Charivari. Ces ouvrages furent tout d’abord disponibles au bureau du journal, 16 rue du Croissant, ensuite chez Michel Lévy frères, libraires éditeurs, 2bis rue Vivienne et 15 boulevard des Italiens, puis à la librairie nouvelle ; Arnauld de Vresse, éditeur, 55 rue de Rivoli et enfin maison Martinet, 172 rue de Rivoli et 41 rue Vivienne. Nous noterons aussi que le Charivari publia les derniers titres consacrés aux Salons artistiques.
La régularité de publication, promise par la maison Martinet vers 1860 en quatrième de couverture : « un album nouveau paraîtra régulièrement du 1er au 5 de chaque mois » ne fut probablement jamais appliquée. Il suffit de faire le graphique des vingt huit années d’édition pour voir que l’année 1868, avec la parution de 13 albums, représente le plus grand pic, suivi de 1862 (11 albums), 1867 (10 albums), 1860 (9 albums).
A partir de 1872, jusqu’à la fin, un seul album, consacré au Salon, fut publié chaque année. Il permettait aux visiteurs de parcourir cette importante manifestation avec ce petit livre en main, et de comparer les caricatures des œuvres avec celle-ci.

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Une liste

La liste suivante, avec toutes ses inexactitudes, permettra à nos lecteurs d’avoir enfin sous les yeux l’inventaire de ces petits volumes. Sous réserve de modifications. Nous sommes prêts à y intégrer toutes les observations que l’on pourra nous faire.

1867 sur la sellette 1867)
Album à Aiguilles (1866)
Allons-y gaiement (1867)
Au Bal de l’Opéra (1862)
Baigneurs et buveurs d’eau (1861)
Bouffonneries de l’Exposition [de 1867] (1868)
Cascades dramatiques (1868)
Cascadeurs et cascadeuses (1868)
Ces bons chinois (1858)
Ces bons parisiens (1855)
Ces diables de Parisiens (1868)
Ces jolis messieurs et ces charmantes petites dames (1860)
Ces petites dames et ces jolis messieurs (1867)
Cham au Salon de 1861 (1861)
Cham au Salon de 1863 1ère promenade ( 1863)
Cham au Salon de 1863 2e promenade (1863)
Cham au Salon de 1870 (1870)
Cham au Salon de 1867 (1867)
Charges parisiennes [ou Les charges parisiennes ?] (1845 ou 1858 ?)
Chassepotiana (1869)
Chasses et Courses (1859)
Chinoiseries, turqueries, maroquinades ( ? )
Choses et autres croquis (1862)
Chronique du jour (1866)
Cocasseries du jour (1867)
Coups de crayon (1849)
Cours d’astronomie [format oblong] (1870)
Cours d’hygiène ( ? ) (1862)
Cours de géométrie (1858)
Courrier de Paris (1866)
Cours de physique (1861)
Croquades (1850)
Croquades politiques, suite (1849)
Croquis contemporains (1860)
Croquis d’automne (env. 1853)
Croquis de printemps (1853)
Croquis en l’air (1850)
Croquis militaires (1860)
Croquis parisiens (1852)
Croquis variés ( ? )
Drôleries contemporaines (1869)
Emotions de chasse (1857)
En Carnaval (1852)
En Pologne (1857)
En vacances (1853)
-Encore un Album (1860)
Fariboles (1856)
Fantasia (1851)
Les folies parisiennes (1856)
L’âge d’argent (1857)
L’ Arithmétique illustrée (1863)
L’Exposition charivarisée (1867)
L’Exposition de Londres (1862)
L’Exposition de Londres, charivarisée [ou croquée ?]
par Cham, 2e promenade (1862)
La Banque Proudhon et les autres banques socialistes (1849)
La Bourse illustrée ( ? ) (1832)
La Civilité puérile et honnête ( ? )
La Comédie de l’Exposition. Prologue (1867)
La Comédie de l’Exposition. 1er acte (1867)
La Grammaire illustrée (1860)
Lantern’ Magique!!! (1868)
Le (Au ?) bal de l’Opéra (1862)
Au bal masqué (1855)
Le calendrier ( ? )
Le Carnaval à Paris (1865)
Le code civil commenté par Cham, 1ère partie (1862)
Le code civil commenté par Cham, 2e partie (1862)
Le code civil commenté par Cham, 3e partie (1862)
Le Corps législatif (pour rire ?) (1870)
Le manuel des chasseurs (1861)
Le Salon de 1857 (1857)
Le Salon de 1865 (1865)
Le Salon de 1866 photographié par Cham (1866)
Le Salon de 1868 (1868)
Le Salon de 1869 (1869)
Le Salon pour rire 1872 (1872)
Le Salon pour rire 1873 (1873)
Le Salon pour rire 1874 (1874)
Le Salon pour rire 1875 (1873)
Le Salon pour rire 1876 (1876)
Le Salon pour rire 1877 (1877)
Leçons de Civilité, 2eme édition (ou Nouvelles leçons de civilité ?) (1862)
Les chasseurs (1869)
Les Chinoiseries (1860)
Les collégiens en vacances (1861)
Les Comiques sans le savoir (1868)
Les Courses (1868)
Les Échappés de Charenton (1868)
Les Folies du jour (1863)
Les Français en Chine (1860)
Les Grimaces du jour (1869)
Les jolis Chasseurs (1863)
Les Jours gras (1863)
Les kaiserlicks (1855)
Les voyages d’agrément (1849)
Les représentans en vacances (1849)
Macédoine (1854)
Mascarades Parisiennes (1869)
Mélanges comiques (1849)
Mes Marionnettes (1868)
Miroir de la Cuisine et du Pique-Assiette (env. 1866)
Miroir du collégien et du·Calicot (env. 1866)
Musée Campana (1862)
Nos Grotesques (1856)
Nos Jeux et nos Ris (1868)
Nouveaux croquis de chasse (1854)
Nouveaux Habits, nouveaux Galons (1862)
Nouvelles Charges (1851)
Nouvelles Charges parisiennes (1865)
Nouvelles croquades (1853)
Nouvelles leçons de civilité puérile et honnête (1863)
Nouvelles Fariboles (1858)
Nouvelles pochades (1857)
Olla potrida (env. 1860)
Pantins du jour (1868)
Paris au Printemps ( ? )
Paris aux Courses (1858)
Paris l’été (1852)
Paris l’hiver (1853)
Paris pour rire (1869)
Paris s’amuse (1860)
Parisiens et parisiennes ( ? )
Pendant la canicule ( ? )
Promenades à l’exposition (1855 )
Promenades au Jardin d’Acclimatation (env. 1858)
Proudhon en voyage (1849)
Proudhoniana (1848)
Qui veut rire? (1867)
Revue comique de l’Exposition ( ? )
Revue comique de l’exposition de l’industrie (date ?)
Revue comique de l’Exposition de 1851 (1851)
Revue comique de l’Exposition de 1867 ( ? )
Revue comique de l’Exposition de 1878 ( ? )
Revue de l’année 1866 ( ? )
Revue du Salon ( ? )
Revue du Salon de 1853 (1853)
Revue Fantaisiste (1866)
La saison des eaux (1854)
Salmigondis (1852)
Salon de 1857 (1857)
Salon de 1868 (1868)
Le Salon de 1869 charivarisé (1869)
Scènes d’automne (1867)
Soulouque et sa cour (1850)
Souvenirs comiques de 1858 (ou souvenirs comiques de l’an 1858) (1858)
Spahis et Turcos (1863)
Un peu de tout (1856)
Variétés (1848)
Variétés drolatiques (date ?)

 

Quelques variantes

J’ai pu examiner chez un collectionneur quelques albums que ce dernier possédait en double exemplaires. Quelle ne fut pas ma surprise de noter plusieurs variantes dans chacun de ceux-ci.

 

Naturellement, il est difficile de savoir, pour le même titre, quel album a précédé l’autre. Toutefois quelques indices permettent d’en avoir une idée. La censure fut probablement toujours à l’origine de cette substitution de bois, mais rien n’est vraiment sûr. Notons cependant que les raisons évoquées par les censeurs pour retirer telle ou telle image peuvent nous paraître aujourd’hui bien obscures. La politique y tenait une grande place, mais aussi la religion, l’armée, la morale…

 

Le premier de ces albums est Proudhoniana ou les socialistes modernes, paru en 1848. Cham dresse dans cet ouvrage, un portrait des socialistes assez cruel mais bien drôle. La variante est ici assez subtile puisqu’elle ne concerne que la page de titre intérieure. Placé sous le sous-titre : « dédié aux propriétaires » un petit bois, probablement tronqué, montre un homme portant une bourse, donc un avare, et l’autre édition présente au même emplacement un homme fouillant dans ses poches, donc fauché, suivi d’une bonne d’enfant, allusion probable aux propriétaires affameurs…

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Vient ensuite Coups de crayon paru en 1849. Dans ce dernier album, nous trouvons en page 5, en bas à gauche, une image figurant Victor Considérant, dont la fameuse queue ornée d’un oeil, est entourée autour d’un rocher de Californie. Plus neutre, un autre bois nous montre un pionnier californien faisant une mauvaise rencontre.

 

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première version

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seconde version

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Victor Considérant…

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Remplacé par ce face-à-face

Il semble bien, assez curieusement, que la deuxième version ait été celle de Considérant, car en page 10 du même exemplaire, en bas, à droite, un bois a été gratté – donc forcément postérieurement – pour faire disparaître l’urne dans laquelle un ours des Pyrénées glissait un bulletin de vote. Notons au passage que la légende, faisant une allusion très claire au vote, n’a pas été changée. Le lecteur ne pouvait donc être dupe quand il voyait le geste de l’ours subsistant sur l’image! Un exemple, parmi des milliers, de la crétinerie de messieurs les censeurs et de l’audace des éditeurs de l’époque!

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Dans La grammaire illustrée, album sorti des presses du Charivari en 1860, j’ai découvert des variantes assez nombreuses. Cet ouvrage très amusant, au ton moins politique que les précédents, a été modifié en page 4, où figure en bas à droite »la virgule ». On reconnait dans une image le portrait d’ Emile de Girardin, et dans l’autre le buste d’un militaire beaucoup plus neutre.

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Emile de Girardin vu par Cham

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Et de manière plus réaliste par Ramshtal. On appréciera la précision du trait de Cham!

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L’autre bois de « La Virgule » qui fut remplacé par Girardin…

Page dix, trois personnages figurant la première, la seconde et la troisième personne, de Napoléon III à Dupin. Le bois de l’autre édition « Une terminaison », montre le suicide d’une femme dans la Seine.

 

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Une version…

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Remplacée par l’autre…

Des raisons plus techniques ont peut-être aussi provoqué des changements dans le choix des bois, mais rien ne peut nous en assurer. Page 11 de cette même Grammaire illustrée, des soldats ont-ils cédé la place à un écolier fuyant l’école? Ou l’inverse?

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A gauche, un soldat rappelant fortement la silhouette de Cham!

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En page 12, le Régime a connu aussi deux versions… Les images ont pourtant bien anodine!

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Première version du Régime

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Deuxième version…

Les modifications opérées en page 13 peuvent peut-être nous fournir quelques éclaircissements. En effet, sur trois bois consacrés aux « temps », deux ont été changés pour des raisons ignorées. Toutefois, la comparaison entre les bois d’une version, au trait assez « Toppferien » caractéristique de la jeunesse de Cham, et ceux qui les auraient théoriquement remplacés, au dessin plus vif, permettent de noter un écart assez important entre les années de production des premiers et des seconds.

Cet album a probablement été un succès et a duré dans le temps, ce qui doit expliquer aussi les couvertures différentes, elles-aussi, des deux exemplaires consultés.

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Deux couvertures pour le même album

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Deux versions d’une même page

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Premier temps : les deux versions

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Deuxième temps : idem

Dernière modification à signaler dans cette album, la disparition du portrait de Dupin, Président de la Chambre, déjà mentionné, et son remplacement par une image beaucoup plus neutre représentant une salle de classe. La légende : « rappel à l’ordre en cas de mauvaise locution » tombe ainsi complètement à plat quand elle souligne la seconde image. Pourquoi ne pas avoir pris la peine de changer aussi le texte?

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Première version

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Deuxième version

Un examen des documents laissés par les services de la censure et conservé aux Archives Nationales, me permettra peut être, dans un avenir proche, d’apporter d’utiles précisions à ce petit article, fruit d’une simple comparaison entre deux versions différentes des mêmes ouvrages. Je ne manquerai pas d’en tenir informé nos lecteurs.

 

 

 

 

 

Publié dans : Non classé |le 29 janvier, 2008 |Pas de Commentaires »

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